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jeudi 13 novembre 2008

"Il faut profiter de la crise!"

L'utile débat ouvert dans Télérama du 5 novembre, p. 54, sera-t-il repris comme étant au cœur se toute réflexion politique? Ce n'est pas sûr! Et pourtant!

La logique économique qui a abouti à la crise actuelle nous mène aussi vers un désastre écologique, estiment de nombreux experts. Avant qu'il ne soit trop tard, ils tirent la sonnette d'alarme… depuis plusieurs années. La crise financière pourrait les aider à faire passer le message. A quand la mise en place d'une économie verte et responsable ?


M. Trichet, ne reste-t-il plus qu'à prier?

Sait-on au juste combien de dollars, d'euros, de yens ou de couronnes islandaises se sont évaporés dans la débâcle financière d'octobre 2008 ? Entre 1 000 et 5 000 milliards de dollars selon les sources, voire 25 000 – mais sur un an –, comme le titrait récemment Le Monde. Sommes insensées, choquantes, et pourtant qui ne sont rien en comparaison de ce qui nous attend, au-delà de l'univers de la finance. L'auteur d'Une brève histoire de l'avenir, Jacques Attali, livre de sombres pronostics : « Aujour­d'hui, on commence à s'apercevoir que le système financier est incontrôlable. Mais s'il apparaît un jour, d'ici vingt-cinq à trente ans, qu'il en est de même pour le dérèglement du climat, là, ce n'est pas le sort du secteur de la finance, c'est celui de l'humanité entière qui sera en jeu » (1)

Jacques Attali s'appuie notamment sur le rapport du Britannique sir Nicholas Stern, un banquier qui, en 2006, avait chiffré les conséquences du réchauffement à 5 500 milliards d'euros. A la mi-octobre, un autre banquier, Pavan Sukhdev, économiste indien de la Deutsche Bank, chargé par l'Union européenne du rapport TEEB sur « l'économie des systèmes écologiques et de la biodiversité » (publication en 2010), a remis un travail préliminaire sur le seul coût de la déforestation, 2 000 à 5 000 milliards de dollars par an. La déforestation, nous dit-il, ce n'est pas seulement la chute des recettes de l'industrie forestière. C'est surtout la fin des services rendus à l'homme par la forêt : régulation du climat, prévention de l'érosion et des inondations, ressources exploitées par la médecine...

En 2006, sir Nicholas Stern avait fait la une du Financial Times et secoué le monde politique et entrepreneurial. Le rapport Sukhdev est passé plus inaperçu. Peut-être parce que le thème de la biodiversité ne mobilise pas – encore – autant que celui du réchauffement, mais surtout parce que la crise financière jette aux oubliettes les questions environnementales. « Pourtant, martèle Pavan Sukhdev, la crise écologique ne s'arrête pas parce qu'il y a une panique financière. Si on laisse faire, si on continue de ne pas tenir compte des risques qui se développent dans tout système organisé, ce sera encore pire. L'écroulement des marchés offre une occasion historique pour comprendre le coût de notre inaction. »

Le véritable « intérêt » de la crise est que
le désastre boursier affine le diagnostic
sur les enjeux environnementaux

De manière cynique et à courte vue, on est bien obligé de constater qu'une récession est souvent la seule méthode efficace pour réduire les émissions de CO2. Les crises précédentes l'ont prouvé, le trafic aérien, les ventes d'automobiles ralentissent, de même que la construction immobilière, d'où une moindre utilisation d'acier et de ciment, qui figurent parmi les gros émetteurs de CO2… Mais le véritable « intérêt » de la crise est que le désastre boursier affine le diagnostic sur les enjeux environnementaux : jamais, en effet, l'articulation entre crise financière et crise écologique n'aura été aussi claire. Et ce constat n'émane plus des seuls experts et militants verts de la première heure.

Ainsi, l'ex-juge Eva Joly, qu'on s'était habitué à voir batailler sur le front de la lutte anticorruption en France et en Norvège, où elle a récemment été chargée d'une vaste enquête sur les flux financiers illicites, lance officiellement sa candidature aux européennes sous la bannière Europe Ecologie. Aux côtés de Daniel Cohn-Bendit, des Verts, de José Bové et de Jean-Paul Besset, l'ancien porte-parole de Nicolas Hulot, elle explique comment elle en est venue à faire « le lien organique entre crise écologique, crise financière et accroissement des inégalités ». Au croisement de toutes ces crises, dit-elle, on retrouve les fameux paradis fiscaux, trous noirs de la finance mondialisée, qui « accentuent les différences entre riches et pauvres et permettent à un millième de la population mondiale d'y cacher 40 000 milliards de dollars ! ». Elle va plus loin : « Lors de mes voyages en Afrique ou en Amérique latine, j'ai vu concrètement les dégâts environnementaux et sociaux provoqués par les multinationales. L'exploitation des mines de cuivre, par exemple, ne laisse rien à la Zambie, mais procure des dividendes exorbitants aux multinationales qui y opèrent et se servent des paradis fiscaux pour les faire fructifier. J'ai compris que la lutte pour plus de justice entre les populations et la préservation des forêts brésiliennes était fondamentalement le même combat. »

On emprunte à la Terre chaque jour un peu plus,
tout en sachant qu'on ne pourra jamais rembourser

Voici donc les crises environnementale et financière vues comme l'expression d'un seul et même système économique – le capitalisme de casino –, qui « promeut le gaspillage et vise à maintenir les intérêts d'une minuscule oligarchie dominante », plus riche et irresponsable que jamais face aux risques, pour reprendre le journaliste Hervé Kempf dans Comment les riches détruisent la planète (2). Un système économique qui a perdu de vue ce qui fait « la noblesse de l'économie : la juste répartition des biens et des ressources », dénonce Pierre Rabhi dans son Manifeste pour la Terre et l'humanisme. « Un golem assez monstrueux, une intelligence collective qui prolifère, se développe, mais qui est sans but et sans intention », comme le dit Jacques Attali, qui fait passer les profits à très court terme d'un petit nombre d'individus avant la survie à long terme du plus grand nombre. Et impose aux peuples une seule et même logique : celle de la vie à crédit, que ce soit pour l'immobilier ou les services rendus par la nature - on emprunte à la Terre, chaque jour un peu plus, tout en sachant qu'on ne pourra jamais rembourser. Un vaste marché planétaire dérégulé et financiarisé, enfin, qui a accordé les pleins pouvoirs à une poignée de grands groupes et autorisé une spéculation tout-terrain : crédits immobiliers, pétrole, mais aussi matières premières ou droits à polluer...

Dans son dernier livre, La Crise, Des subprimes au séisme financier planétaire, l'ex-trader et anthropologue Paul Jorion explique de façon limpide cette logique infernale qui a permis à la catastrophe financière de naître dans le secteur subprimes de l'immobilier américain avant de se propager à l'ensemble des marchés mondiaux de matières premières. « Pareils au loup se parant de la peau d'une brebis, écrit-il, les spéculateurs, représentés par les banques d'investissement de Wall Street, envahirent les marchés à terme » de matières premières, permettant au prix des céréales et du pétrole d'atteindre des sommets vertigineux. Apparut ainsi une nouvelle catégorie d'intervenants, purement spéculateurs, « n'ayant aucune intention ni de livrer ni de prendre livraison de la marchandise, et dont le seul but est de parier sur la variation du prix... ». Avec des comportements aberrants comme ceux de ces traders débutants qui se dégagent trop tard et « se voient alors obligés de trouver en catastrophe des tonnes de carcasses de porcs ou de graines de soja – ou, pis encore, de devoir en prendre livraison ! ». Pendant qu'à l'autre bout de la chaîne les émeutes de la faim se multiplient...

Eva Joly et ses colistiers, Pavan Sukhdev et bien d'autres économistes et experts de l'environnement s'accordent aujourd'hui sur un point : il faut « profiter » de la crise. Pour remettre la finance au service de l'économie, et surtout repenser nos modes de développement avec une vision à long terme. Il faudra pour cela réapprendre à vivre dans le monde « réel » en y réinsufflant du politique et de la démocratie. C'est notamment l'idée du « Green New Deal », récemment évoquée par Daniel Cohn-Bendit, Gordon Brown et Barack Obama, un programme directement inspiré du New Deal de Roosevelt de 1933. Ces dernières semaines, les propositions fourmillent, elles insistent sur une nouvelle « économie verte » ou sur de nouvelles régulations à mettre en place. C'est au moins une bonne nouvelle.

Weronika Zarachowicz.

(1) Dans un entretien pour Jeune Afrique, no 2493-2494, du 19 octobre 2008.
(2) Ed. du Seuil, 2007, 146 p., 14 EUR.


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