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jeudi 3 janvier 2008

"Politique de civilisation", politique écologique!

Les vœux de Sarkozy ont permis une nouvelle tentative de rapt d'un concept appartenant à ses adversaires politiques! Mais ce coup-ci, cela n'a pas marché. Edgar Morin a réagi et La République des lettres aussi."La pensée d'Edgar Morin, inspirée par des auteurs comme entre autres Ivan Illich, est plus proche des idées de "décroissance" que des chiffres du CAC 40, plus proche des idées de '68, dont Nicolas Sarkozy veut faire table rase, que de celles d'Alain Minc."

Extrait :

"La formule de "politique de civilisation" -- titre d'un livre du sociologue Edgar Morin -- a immédiatement fait florès. Reprise par le premier ministre François Fillon, dont le gouvernement est évidemment "prêt à des réformes de civilisation", elle suscite toutefois quelques interrogations auxquelles ont tenté de répondre sans grand succès de vieux rhétoriciens de la droite extrême comme Roger Karoutchi et Patrick Devedjian, qui ne peuvent toutefois que montrer la limite de leurs talents sur ce coup là. Préférant ne pas trop s'attarder sur l'idée d'une France qui, comme au bon temps de sa période coloniale, exprimerait sans complexe sa supériorité et son "rôle civilisationnel" pour le reste du monde, la "politique de civilisation" sarkozyste est ainsi pour le premier "un souffle nouveau, une Renaissance au sens italien", et pour le second "une grande ambition pour la France". L'opposition est un tantinet plus ironique et ne se prive pas de railler cet historique message présidentiel qui se voulait en outre "de foi et d'espérance", histoire sans doute de faire oublier les précédents discours va-t-en guerre et les contrats commerciaux bassement matériels. Le porte-parole du Parti Socialiste, Julien Dray, n'y voit qu'un "concept fumeux" en cette première journée sans tabac, et le député socialiste européen Vincent Peillon, philosophe de formation, reste "perplexe". Plus sérieusement, Arnaud Montebourg dénonce pour sa part un "concept nouveau qui ne veut absolument rien dire" hormis "une sorte d'intégration au bloc anglo-saxon" et "une espèce de croisade de l'affrontement des civilisations".
De fait, sous la plume d'un Henri Guaino -- ancien économiste commissaire général au Plan, ex-conseiller de Charles Pasqua -- et dans la bouche d'un Nicolas Sarkozy dont le but affiché est d'américaniser la société française, la notion même de "politique de civilisation" sonne assez bizzarement. Il y a comme un hiatus entre l'idée même de civilisation et la politique menée par ce "président" plus adepte de la culture du résultat que de la culture de la Renaissance. Celui qui entend gouverner la France comme un PDG des années '80 dirige une entreprise, qui aligne intégralement sa politique étrangère sur celle des Etats-Unis -- dont les incessantes aventures guerrières dans le monde entier ne sont pas vraiment un exemple "civilisationnel" --, qui met en oeuvre un programme de réformes renvoyant les français modestes à une situation sociale digne du XIXe siècle, qui se comporte comme un monarque corrompu de République bananière entouré d'une Cour de financiers, de journalistes et de vedettes du show-bizz, et celui qui, entre autres régressions, "modernise" la vie politique française en installant le service de communication de l'Elysée à la rédaction de l'hebdomadaire du gotha et de l'actualité heureuse, n'est à l'évidence pas l'homme le mieux placé pour parler de Renaissance et de Civilisation.
Il l'est encore moins pour se référer au livre d'Edgar Morin, La politique de civilisation, publié en 1997. Écrit avec le politologue Sami Naïr à la suite du mouvement social de 1995 contre la réforme Juppé, cet ouvrage tente d'analyser la question de la réforme du service public français sans laisser désintégrer ce dernier par le "libéralisme économique européen généralisé". Pour Edgar Morin et Sami Naïr, "La politique de civilisation vise à remettre l'homme au centre de la politique, en tant que fin et moyen, et à promouvoir le bien-vivre au lieu du bien-être". Le livre développe plus globalement un concept d'écologie politique présent dès les années '60 dans l'oeuvre du sociologue, notamment dans Anthropolitique: Introduction à une politique de l'homme (1969).
Edgar Morin, ex-membre de Socialisme ou Barbarie (avec entre autres Cornélius Castoriadis et Claude Lefort), fondateur de l'Association pour la pensée complexe (APC), actuellement directeur de recherche émérite au CNRS et président de l'Agence Européenne pour la Culture (Unesco), est en matière politique et économique très loin de prôner les thèses néoconservatrices et néolibérales aujourd'hui mises en pratique par Nicolas Sarkozy et ses amis milliardaires du grand patronat et de la finance réunis. Edgar Morin est un "keynésien" libertaire, un des premiers penseurs d'une écologie radicale appliquée à tout l'écosystème de la société humaine, non seulement environnemental mais aussi social, économique et politique. À travers sa notion de "complexité systémique" et ses analyses sociétales formulées dans de nombreux livres -- de L'Homme et la mort (1951) à L'an I de l'ère écologique (avec Nicolas Hulot, 2007) en passant par La Méthode (6 volumes, 1977-2004), Terre-Patrie (1993), La Complexité humaine (1994) ou encore Le monde moderne et la question juive (2006) -- il aborde les problèmes fondamentaux de notre temps et s'efforce de concevoir la complexité anthropo-sociale en y incluant les dimensions biologiques et imaginaires. Edgar Morin appelle à se saisir de la complexité du réel et s'attache, notamment dans La Méthode, à proposer aussi bien une éthique qu'un nouveau "filtre d'intelligibilité" qui n'a rien à voir avec l'approche plus que simpliste du monde et de l'homme proposée par Nicolas Sarkozy, si tant est qu'il en existe une. La pensée d'Edgar Morin, inspirée par des auteurs comme entre autres Ivan Illich, est plus proche des idées de "décroissance" que des chiffres du CAC 40, plus proche des idées de '68, dont Nicolas Sarkozy veut faire table rase, que de celles d'Alain Minc. Elle est surtout d'un niveau intellectuel un petit peu plus élevé que celle d'Henri Guaino, ce pourfendeur de "pensée unique", dont le titre du dernier livre, La Sottise des modernes, s'applique parfaitement à cette fameuse "modernité" sarkozyste".
La République des Lettres, mercredi 2 janvier 2008

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